Origine génétique des cépages valaisans:

Les surprises de l'ADN

Dr José F. Vouillamoz - Biologiste généticien - jose.vouillamoz@unine.ch

 

Introduction

La connaissance de l'origine d'un cépage repose très souvent sur des connaissances historiques fragmentaires, voire des légendes. C'est le cas des cépages indigènes valaisans (Cornalin, Durize, Goron et Eyholzer Roter en rouges; Amigne, Arvine, Humagne Blanc, Himbertscha, Lafnetscha et Rèze en blancs) qui ne recouvrent que 3% de la surface cultivée (Pont 2002). D'où viennent-ils et quels sont leurs liens de parenté ? L'analyse des microsatellites de l'ADN (ou « test ADN »), que l'on utilise pour identifier des criminels ou pour faire des tests de paternité, permet d'apporter quelques réponses. Cette technique, appliquée à la vigne depuis une dizaine d'années, a permis de découvrir l'origine génétique de cépages comme le Chardonnay (Bowers et al. 1999) ou le Cabernet Sauvignon (Bowers et al. 1997). Pour la recherche de l'origine génétique des cépages valaisans, l'ADN d'une centaine de cépages (Valais, Val d'Aoste, Piémont, Lombardie, Valtelline, Trentin et Frioules) a été analysé et comparé à l'ADN de plus de 1000 cépages du monde entier présents dans la base de données de Davis (USA). Les résultats de ces recherches sont présentés ici pour chaque cépage valaisan en distinguant deux groupes : 1) cépages pour lesquels aucune parenté directe n'a été mise en évidence, avec indication de leurs affinités génétiques dans l'état actuel des connaissances, et 2) cépages pour lesquels une parenté directe a été découverte.

  

Résultats des analyses d'ADN

Cépages sans parenté directe

  • Amigne
    • Les analyses de distance génétique effectuées sur l'Amigne, à qui l'on prête souvent une origine romaine, suggèrent une affinité avec des cépages du Val d'Aoste et de France.
  • Arvine
    • Souvent considérée comme originaire de la région de Martigny (Durand 1904), l'Arvine montre aussi une affinité génétique avec des cépages du Val d'Aoste et de France.
  • Humagne Blanc
    • Cépage très ancien, mentionné pour la première fois en 1313 dans le « Registre d'Anniviers » (Carruzzo 1991), l'Humagne Blanc se rapproche génétiquement des cépages du Sud de la France, comme le Colombaud Blanc de Provence ou le Chichaud d'Ardèche. Cette relation apporte des éléments nouveaux pour l'histoire de la viticulture valaisanne et mériterait d'être approfondie par des données historico-archéologiques sur les échanges entre ces deux régions, effectués probablement par la voie rhodanienne.
  • Rèze
    • Ce cépage, également mentionné en 1313, apparaît comme génétiquement ancestral et présente des affinités avec plusieurs cépages d'Italie du Nord. La Rèze pourrait bien être une descendante de la Vitis raetica de Pline.
  • Eyholzer Roter
    • Cépage rare du Haut-Valais, l'Eyholzer Roter est cultivé traditionnellement en pergola à Eyholz, ce qui trahirait son origine italienne. Les analyses d'ADN montrent en effet une affinité génétique avec des cépages d'Italie du Nord (Val d'Aoste, Trentin).

 

 

 

 

Cépages avec parenté découverte

  • Cornalin
    • Le Cornalin était répandu depuis longtemps en Valais sous le nom de Rouge du Pays ou Rouge du Valais (Berget 1904). Il ne fut baptisé Cornalin qu'en 1972, en empruntant le nom d'un vieux cépage du Val d'Aoste dont la consonance était plus agréable que le banal Rouge du Pays (Nicollier 1972). Le Cornalin connut depuis lors un regain d'intérêt heureux en Valais. Toutefois, la confusion ampélographique subsiste encore puisque deux cépages différents partagent le nom de Cornalin, l'un au Val d'Aoste, l'autre en Valais. Une source de confusion supplémentaire provient de l'Humagne Rouge. Ce cépage (sans parenté avec l'Humagne Blanc) a été longtemps considéré comme identique au Petit Rouge du Val d'Aoste (Nicollier 1972). Des études morphologiques et moléculaires récentes (Moriondo 1999; Maigre 2000; Labra et al. 2002) ont en fait montré que l'Humagne Rouge est identique au Cornalin cultivé à Aoste, ce que mes analyses des microsatellites ont largement confirmé. Cette situation m'amène à proposer un changement de noms très simple et qui permet d'éviter les confusions : « Cornalin du Valais » et « Cornalin d'Aoste ».
    • L'analyse des microsatellites a permis de découvrir 1) les parents du Cornalin du Valais: il est issu d'un croisement naturel entre le Mayolet et le Petit Rouge, deux cépages indigènes du Val d'Aoste, et 2) la suite de l'arbre généalogique : le Cornalin du Valais est à son tour le parent commun du Cornalin d'Aoste et du Goron (Vouillamoz et al. in press). Le Goron est le nom donné en Valais à un assemblage de Pinot et de Gamay, mais c'est aussi le nom d'un cépage qui n'existe plus que dans les collections et dont on soupçonnait l'origine valdôtaine. Le Cornalin d'Aoste est encore cultivé en Valais sous le nom d'Humagne Rouge, alors qu'il est en nette régression dans sa contrée natale. Sa filiation avec le Cornalin du Valais justifie d'autant plus le changement de noms proposé. Quant aux deux autres parents inconnus, comme tous les cépages indigènes du Valais et du Val d'Aoste ont été analysés, ils ont probablement disparu de l'encépagement des deux vallées.

 

 

 

  • Durize
    • La Durize ou Rouge de Fully est depuis longtemps considérée comme une cousine du Cornalin du Valais (Berget 1903). Les analyses d'ADN ont montré que la Durize est issue d'un croisement naturel entre le Roussin du Val d'Aoste et un autre cépage inconnu. Le Roussin est lui-même un des enfants du Cornalin du Valais, l'autre cépage restant également inconnu. La Durize n'est donc pas la cousine mais la petite-fille du Cornalin du Valais !
  • Arvine Grande
    • Bien distinct de l'Arvine (ou Petite Arvine), ce cépage n'est aujourd'hui pratiquement plus cultivé. L'analyse des microsatellites a montré que l'Arvine Grande est en fait issue d'un croisement entre la Rèze et un autre cépage inconnu (disparu ?). En outre, elle est étonnamment plus proche génétiquement de l'Amigne que de l'Arvine.
  • Lafnetscha et Himbertscha
    • Plusieurs auteurs avaient déjà remarqué un lien de parenté entre le Lafnetscha et le Completer des Grisons, avec lequel il est d'ailleurs souvent confondu ([Galet, 2000 #160;Ambrosi et al. 1997). Les analyses microsatellites ont montré que le Lafnetscha est en fait issu d'un croisement naturel entre le Completer et l'Humagne Blanc (Vouillamoz et al. in prep.). Le Completer est connu depuis 1321 à Malans (Grisons), mais il n'a jamais été signalé en Valais. Comment le Completer aurait-il donc pu engendrer le Lafnetscha ? L'hypothèse la plus plausible serait que le Completer existait et existe peut-être encore en Valais, mais qu'on le confondrait régulièrement avec le Lafnetscha. Cette hypothèse a été confirmée en automne 2002 par les experts Dominique Maigre et Michel Pont (Station Fédérale de Recherche en Production Végétale de Changins) qui ont retrouvé du Completer au milieu de ceps de Lafnetscha près de Viège. Les producteurs locaux l'appelaient Grosse Lafnetscha... Le Completer est donc à rajouter au nombre des vieux cépages valaisans. Quant à l'Himbertscha, l'analyse d'ADN montre qu'il est issu d'un croisement entre l'Humagne Blanc et un autre cépage inconnu.

 

 

 

Conclusion

Ce travail a permis de mettre en évidence des parentés parfois insoupçonnées qui montrent que beaucoup de cépages valaisans considérés comme indigènes ont en fait une origine ou une affinité valdôtaine, voire Nord-italienne ou encore française. Ces cépages du Valais et du Val d'Aoste constituent un patrimoine génétique unique : souhaitons que cette richesse ampélographique soit à l'avenir encore plus mise en valeur.

Références

Ambrosi, H., Dettweiler-Munch, E., Ruhl, E. H., Schmid, J. and Schumann, F. (1997).
 Guide des cépages. 300 cépages et leurs vins. Stuttgart, Verlag Eugen Ulmer.

Berget, A. (1903).
Etude ampélographique des vignobles du Léman, du Valais et du Val d'Aoste. Paris, Revue de Viticulture.

Berget, A. (1904).
 Rouge du Valais. In: Ampélographie. P. Viala and V. Vermorel (Ed.), Paris, Masson. 5: 278-282.

Bowers, J. E., Boursiquot, J. M., This, P., Chu, K., Johansson, H. and Meredith, C. P. (1999).
Historical genetics: The parentage of Chardonnay, Gamay, and other wine grapes of Northeastern France. Science 285: 1562-1565.

Bowers, J. E. and Meredith, C. P. (1997).
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Carruzzo, C.-H. (1991).

Cépages du Valais. Chapelle-sur-Moudon, Ketty & Alexandre. Durand, E. (1904). Arvine.

In: Ampélographie. P. Viala and V. Vermorel (Ed.), Paris, Masson. 5: 296-301.

Labra, M., Moriondo, G., Schneider, A., Grassi, F., Failla, O., Scienza, A. and Sala, F. (2002).

Biodiversity of grapevines (Vitis vinifera L.) grown in the Aosta Valley. Vitis 41(2): 89-92.

Maigre, D. (2000).

Identification des variétés de vigne. Recherche en paternité au moyen des techniques moléculaires: des découvertes surprenantes.

Agrovina, Martigny, Station fédérale de recherches en production végétale de Changins.

Moriondo, G. (1999).
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Nicollier, J. (1972).
Un dossier relatif aux cépages dits rouges du pays en Valais et rouges indigènes en Valleée d'Aoste (deuxième partie).
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Pont, M. (2002).
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Parentage of Vitis vinifera L. 'Lafnetscha' and 'Himbertscha',
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Vouillamoz, J., Maigre, D. and Meredith, C. P. (in press).
Microsatellite analysis of ancient alpine grape cultivars:
pedigree reconstruction of Vitis vinifera L.
'Cornalin du Valais'. Theoretical & Applied Genetics.

 

Notes

En collaboration avec la Station de Recherche en Production Végétale à Changins,
L'Office
Cantonal Valaisan de Viticulture à Châteauneuf-Conthey,
L'Institut
Agricole Régional d'Aoste et lUnité de Viticulture du CNR à Turin