Cet article a été présenté lors du 26ème Congrès Mondial de la Vigne et du Vin, OIV, Adelaide (Australie), octobre 2001. Introduction En zone méditerranéenne, en vinification en blanc, il a été montré l'importance pratique de la protection des raisins et des jus contre les oxydations (Delteil, 2001a) et dans ce cadre, l'intérêt d'apporter régulièrement et de façon fractionnée du SO2 (Asselin et Delteil, 1998) pour bloquer précocement les réactions d'oxydations en chaîne (Cheynier et Fulcrand, 1998). Ceci est particulièrement important pour préserver le potentiel aromatique variétal du Sauvignon Blanc et éviter l'apparition de sensations gustatives agressives dans les vins (Asselin et Delteil, 1998). Afin de répondre aux attentes des consommateurs, les vinificateurs tentent de réduire au maximum l'emploi des intrants et en particulier du SO2. Cette étude a pour but de comparer des modalités d'apport du SO2 afin de réduire la quantité totale apportée, tout en maintenant un niveau d'efficacité anti-oxydante suffisant pour conserver aux vins obtenus les qualités analytiques et organoleptiques recherchées par les consommateurs. Matériel et méthode Vinification. Une vendange du cépage Sauvignon Blanc, issue du Languedoc (France) est répartie en deux lots homogènes selon la procédure de la cave expérimentale du Département R&D ICV. Le SO2 est apporté sous forme d'une solution de bisulfite de potassium à 10%. Le lot 33-00 est sulfité de façon homogène avec 5 g/hl de SO2 avant éraflage et foulage. Les raisins sont enzymés, éraflés et foulés puis transférés dans un pressoir horizontal à plateaux. Le jus issu du drainage statique (" gouttes ") et le jus issu du pressurage actif (" presses ") sont recueillis dans la même cuve et sont régulièrement sulfités à 5 g/hl au fur et à mesure du remplissage par gravité de cette cuve. Le deuxième lot 34-00 est sulfité de façon homogène avec 4 g/hl de SO2 avant éraflage et foulage. Les raisins sont enzymés, éraflés et foulés puis transférés dans un pressoir horizontal à plateaux. Quand le jus issu du drainage statique (" gouttes ") est extrait, les raisins restant dans le pressoir sont sulfités à 2 g/hl. Le jus issu du pressurage actif (" presses ") est recueilli dans la même cuve que le jus de " gouttes ". Aucun sulfitage n'est pratiqué sur les jus du lot 34-00 dans la cuve de réception. Les jus des deux lots sont débourbés et fermentés selon les procédures de la cave expérimentale ICV. En fin de fermentation alcoolique, le vin du lot 33-00 est réparti en trois lots homogènes. Un lot est sulfité à 6 g/hl, élevé pendant 3 mois à 10°C, soutiré deux fois, avec un sulfitage à 2 g/hl à chaque soutirage ; ce lot garde la référence 33-00. Un lot est sulfité à 4 g/hl, élevé pendant 3 mois à 10°C, soutiré deux fois, sans sulfitage pendant les soutirages ; lot référencé 35-00. Un lot est sulfité à 4 g/hl, élevé pendant 3 mois à 18°C, soutiré deux fois, sans sulfitage pendant les soutirages ; lot référencé 36-00. Le vin du lot 34-00 est sulfité à 6 g/hl et élevé pendant 3 mois à 10°C, soutiré deux fois, avec un sulfitage à 2 g/hl à chaque soutirage ; le lot garde la référence 34-00. Les vins ont été mis en bouteille selon la procédure de la cave expérimentale ICV puis conservés 3 mois à 15°C avant l'analyse sensorielle. Pendant toutes les phases préfermentaires, pendant la fermentation, pendant l'élevage et pendant la mise en bouteille, les raisins, les jus et les vins sont constamment couverts d'une couche de CO2 pour limiter les contacts avec l'oxygène de l'air. Analyses. Les analyses chimiques des jus et des vins ont été réalisées selon les procédures du plan qualité du Laboratoire ICV à Maurin. L'analyse sensorielle descriptive quantifiée des vins a été réalisée par le groupe expert du Département R&D ICV selon une procédure publiée (Delteil, 2001b). Le tableau I rappelle les différents ajouts de SO2 et les températures d'élevage des différents lots, avec leur identification dans le plan qualité de la cave expérimentale ICV. Tableau I. Identification des lots et bilan des ajouts de SO2 en g/hl Résultats Les mesures du SO2 Total sur les jus à différents stades des phases préfermentaires sont reportées dans la figure n°1. Les mesures des SO2 Total et SO2 Libre sur les vins avant mise en bouteille sont reportées dans la figure n°2. Les profils aromatiques des vins sont reportés dans la figure n°3. Les profils gustatifs des vins sont reportés dans la figure n°4. Figure n°1. SO2 Total et du SO2 Libre dans les jus, en mg/l Figure n°2. SO2 Total et du SO2 Libre dans les vins en mg/l et pourcentage de SO2 combiné (SO2 Total - SO2 Libre / SO2 Total) Figure n°3. Profils aromatiques des vins après mise en bouteille Figure n°4. Profils gustatifs des vins après mise en bouteille (échelle arbitraire d'analyse sensorielle descriptive quantifiée) Commentaires Dans les jus, les niveaux de SO2 Total et de SO2 Libre diminuent régulièrement au cours de l'écoulage (figure n°1). La baisse est plus importante quand l'ajout initial sur raisin est plus faible (lot 34-00). Quand le pressurage actif commence sans ajout de SO2 sur les raisins égouttés (lot 33-00), la baisse du SO2 est très nette dans le jus. Quand les raisins sont sulfités après égouttage et avant la phase active de pressurage (lot 34-00) les teneurs des jus augmentent en début de pressurage, à un niveau équivalent à celui des jus en début d'écoulage statique. En fin de pressurage, quel que soit le processus de sulfitage, les jus ne contiennent pratiquement plus de SO2 mesurable. Après assemblage des jus de gouttes et de presses la teneur du jus du lot 33-00 est sensiblement plus élevée du fait de l'ajout de SO2 dans le jus. Le niveau de 130 mg/L indique que la majeure partie du SO2 ajouté sur les raisins passe dans le jus et s'y trouve concentrée par le rapport " Poids de raisins " / " Volume de jus extrait ". Le débourbage des jus provoque une baisse du SO2 Libre. La différence de SO2 Total en fin de débourbage entre les lots 33-00 et 34-00 est nette. Ce type de différence est connu pour induire des réactions sensiblement différentes de la part de la levure qui va réaliser la fermentation : production plus élevée d'acétaldéhyde (Bisson, 1993) et production plus élevée de composés volatils soufrés (Pretorius, 2000) dans les jus initialement plus concentrés en SO2. Au stade industriel, un suivi analytique du même type a été réalisé pendant le pressurage de raisins du cépage Chardonnay avec un pressoir pneumatique à membrane centrale et à cage fermée. Les raisins ont été sulfités à 4 g/hl avant le pressurage. Les résultats sont reportés dans la figure n°5. Figure n°5. SO2 Total et du SO2 Libre en mg/l dans les jus au cours d'un pressurage en site industriel. Deux phénomènes peuvent expliquer ces résultats : un écoulement rapide de la solution de SO2 à travers les raisins et le pressoir et/ou une plus forte combinaison du SO2 en partie due à l'augmentation de pH constatée lors de l'avancement du pressurage (Desseigne et al, 1999). Dans tous les cas, la teneur en SO2 Libre des jus de fin de pressurage est négligeable et ne permet pas une couverture anti-oxydante correcte de cette fraction des jus. Au stade du vin mis en bouteille (figure n°2), deux lots ont des teneurs en SO2 Libre élevées et considérées comme suffisantes par les vinificateurs pour la préservation des arômes variétaux : lot 33-00 et lot 34-00. Le taux de combinaison du SO2 est proche pour les 2 lots. Le rapport entre le SO2 Total et le SO2 Libre est plus intéressant sur le lot 34-00 : le SO2 Libre est suffisant, avec moins de SO2 Total. Les lots 35-00 et 36-00 ont des teneurs en SO2 Libre nettement plus faibles, inférieures au niveau habituellement recherché par les vinificateurs pour ce type de vin blanc (25 mg/l) et des taux de SO2 combiné nettement plus élevés. La température d'élevage a une influence. Le lot 36-00 élevé à 18°C présente des teneurs en SO2 Total et en SO2 Libre plus faibles que le lot 35-00 élevé à 10°C, avec un taux de combinaison légèrement plu élevé. Ceci est en contradiction avec certaines publications (Usseglio-Tomasset, 1989). L'analyse sensorielle (figure n°3 et figure n°4) met en évidence les effets des processus préfermentaires (différences entre les lots 33-00 et 34-00) et les effets des phases d'élevage (différences entre les lots 33-00, 35-00 et 36-00). Le lot 36-00 se différencie très nettement des autres par des caractères dus à l'oxydation : forte intensité des descripteurs " éthanal ", " rugosité " et " astringence " et faible intensité des descripteurs " agrumes et " fruits blancs au sirop ". Ces caractères sont en général très peu appréciés par les consommateurs. La température plus élevée d'élevage a amplifié les tendances provoquées par l'insuffisance du SO2 Libre. Le lot 35-00 présente les mêmes tendances, mais nettement atténuées. Le profil du lot 33-00 permet de mettre en évidence l'impact du processus de sulfitage pendant l'élevage. Aromatiquement, il n'a pas de caractère d'éthanal et les descripteurs fruités sont plus intenses. Par contre il présente un caractère perceptible de SO2. Gustativement il est caractérisé par une forte intensité des descripteurs " acidité " et " sécheresse ". Par rapport aux lots 35-00 et 36-00, ces résultats sont cohérents avec les mesures des SO2 dans les vins. Le lot 34-00 a un profil sensoriel original. Il a des intensités assez élevées sur les descripteurs fruités et il ne présente aucun des caractères chimiques : ni " éthanal " ni " SO2 ". Gustativement il se distingue par une intensité plus élevée du " volume " et des intensités plus faibles de tous les autres descripteurs, en particulier des descripteurs qui traduisent l'agressivité gustative. Il présente le profil le plus apprécié par les consommateurs en général. D'un point de vue sanitaire, il présente aussi l'avantage d'avoir une teneur en SO2 sensiblement plus faible que le lot 33-00. Discussion - Conclusion Pour les phases préfermentaires, un fractionnement à deux moments sur les raisins a été le plus efficace : sur le raisin avant foulage-éraflage et sur le raisin en fin d'égouttage dans le pressoir. Cette technique permet d'assurer une bonne protection contre l'oxydation de l'ensemble des jus obtenus au cours des étapes préfermentaires tout en réduisant la dose totale de SO2 ajoutée. Les doses doivent être bien sûr raisonnées en fonction du pH et de l'état sanitaire de la vendange. Dans des essais non présentés ici, sur des raisins avec un pH plus élevé, avec des doses plus faibles que celles présentées ici, ce fractionnement n'a pas été suffisant pour éviter des oxydations irréversibles des caractères aromatiques et gustatifs. Pour les phases post fermentaires, cette étude a confirmé l'intérêt des processus qui ont permis de maintenir une teneur en SO2 Libre proche de 25 mg/l, quelles que soient les options de protection préfermentaire. La température d'élevage élevée a joué un rôle important en amplifiant la baisse des teneurs en SO2 et en amplifiant les évolutions oxydatives. Le suivi des teneurs en SO2 au cours des différentes opérations préfermentaires et postfermentaires ainsi que l'analyse sensorielle nous ont permis de montrer l'intérêt de la maîtrise du processus de sulfitage pour limiter les quantités ajoutées et pour exprimer le potentiel des raisins, et ainsi apporter des références pratiques aux vinificateurs qui souhaitent répondre aux attentes sanitaires et hédoniques des consommateurs. Références bibliographiques ASSELIN C. et DELTEIL D. (1998). Vinifications : principales opérations unitaires communes. In : Œnologie, fondements scientifiques et technologiques, C. Flanzy coordonnateur. Tec Doc Lavoisier, Paris, 692-695. BISSON L. (1993). Yeasts - Metabolism of sugars. In Wine Microbiology and biotechnology édité par G.H. Fleet, 55-75. Harwood Academic Publishers, Chur. CHEYNIER V. et FULCRAND H. (1998). Mécanismes d'oxydation dans les moûts de raisin. In : Œnologie, fondements scientifiques et technologiques, C. Flanzy coordonnateur. Tec Doc Lavoisier, Paris, 582-588. DELTEIL D. (2001). Exemple de mise au point de méthodes d'analyse sensorielle. Revue des Œnologues, n°98, 19-25. DELTEIL D. (2001). Maîtrise pratique de l'air dans la vinification des vins blancs et rosés méditerranéens. Revue Française d'Oenologie, n°186, 20-25. DESSEIGNE J.M., FAVAREL J.L., HEINZLE Y., BERGER J.L, FAGE B. (1998). Aide à la conduite des pressoirs à membrane par capteurs qualitatifs. ActesXXIII Congrès Mondial de la Vigne et du Vin de l'OIV. PRETORIUS I.S. (2000). Tailoring wine yeast for the new millenium : novel approaches to the ancient art of winemaking. Yeast, 16 : 675-729. USSEGLIO-TOMMASSET (1989). In Chimie œnologique. Tec et Doc, Lavoisier, Paris. Remerciements Les auteurs remercient la région Languedoc-Roussillon et l'ONIVINS pour le cofinancement des essais dans le cadre des expérimentations vitivinicoles du Contrat de Plan Etat / Région, Jacques Mathieu du Département R&D ICV pour la réalisation des vinifications et les membres du groupe d'analyse sensorielle du Département R&D.
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